Vers un écosystème de recherche équitable, diversifié, inclusif et accessible

(Source de l’image : Andrew Hessel)

Évoluer dans un monde conçu par et pour des personnes qui répondent à certaines normes en matière de capacités physiques et mentales peut représenter un véritable défi lorsque l’on n’est pas à la hauteur aux yeux des autres. Les personnes considérées comme vivant avec un handicap ou ayant une incapacité sont souvent confrontées à cette réalité et, à ce chapitre, l’écosystème de recherche peut être particulièrement problématique. Nous nous sommes entretenus avec Gregor Wolbring, un chercheur qui a dû faire face à des circonstances loin d’être idéales.

Professeur titulaire permanent au programme d’études sur le handicap et la réadaptation communautaire de l’école de médecine Cumming, à la University of Calgary, M. Wolbring a d’abord suivi une formation en biochimie et travaillé dans ce domaine. En 2008, il est passé à son poste actuel de professeur, dans le cadre duquel il se penche sur les politiques publiques. Lorsqu’on l’interroge sur ses domaines d’expertise, il cite les études sur les capacités, le handicap, la durabilité, et la gouvernance des sciences et de la technologie. Il souligne que dans les études sur les capacités, l’accent est mis sur la réalité culturelle des jugements de capacité, qui ont un impact sur tout le monde (puisque chaque personne est jugée sur ses capacités), et les conséquences de ces jugements, qui peuvent être utilisés de manière invalidante ou habilitante. Par ailleurs, M. Wolbring est de plus en plus reconnu comme spécialiste de l’équité, de la diversité et de l’inclusion (EDI) et se sert souvent des connaissances qu’il a acquises en laboratoire de sciences naturelles et de son expertise en EDI pour orienter ses travaux de recherche sur les politiques publiques et diriger son groupe de recherche.

Quel est le fil conducteur en matière d’EDI dans votre parcours professionnel?

Je suis né sans jambes et je me déplace en fauteuil roulant. Je vis donc des réalités discriminatoires fondées sur des normes de capacité qui présupposent qu’une personne a des jambes et peut marcher. Heureusement, j’ai été élevé par des parents qui m’ont été d’un grand soutien parce qu’ils n’adhéraient pas à cette norme de capacité. Par conséquent, quand j’ai décidé de devenir biochimiste, il ne m’est jamais venu à l’esprit que je ne pouvais pas l’être! Bien sûr, j’avais la chance de pouvoir bénéficier de divers modes de mobilité (je peux ramper, j’ai des jambes artificielles et un fauteuil roulant), ce qui m’a permis de « m’adapter » à la réalité de la non-accessibilité. J’ai commencé mes études postsecondaires en biochimie dans mon pays natal, l’Allemagne, ensuite j’ai fait ma thèse de diplôme au Royaume-Uni et enfin mon doctorat en Allemagne. C’est pour mes études postdoctorales, il y a 30 ans, que je me suis retrouvé à la University of Calgary, au département de physiologie et de biophysique.

Tout au long de ma carrière en biochimie, j’ai également participé à des travaux sur l’éthique et les politiques concernant la science et les technologies, dans le cadre desquels je soulevais souvent la question des conséquences pour les groupes marginalisés, tels que les personnes vivant avec un handicap. En 2008, lorsqu’un poste de professeur s’est libéré à la University of Calgary qui me permettait d’appliquer mes travaux sur les politiques portant sur la science et les technologies, j’ai envoyé mon CV. C’était en partie parce que je sentais que mes capacités physiques ne me permettraient pas de continuer d’aller au laboratoire tous les jours et que ce poste offrait plus de souplesse, puisque je pouvais faire de la recherche et enseigner virtuellement. C’était au début des années 2000, une époque où le recours au mode virtuel n’était pas chose courante!

Pouvez-vous nous parler de votre contribution en matière d’EDI à vos derniers projets de recherche?

Actuellement, je collabore à deux projets qui reçoivent des fonds de recherche fédéraux. This link will take you to another Web site FUTUREBODY, The Future of the Body in the Light of Neurotechnology (page en anglais seulement) est financé dans le cadre du programme ERA-NET NEURON et, en tant que récipiendaire canadien de la subvention, je reçois un financement des Instituts de recherche en santé du Canada (IRSC). Nos travaux portent sur l’analyse philosophique de l’incarnation et de l’agentivité et ma contribution est sur la population étudiante vivant avec un handicap, et en particulier de premier cycle universitaire, en tant que productrices et producteurs de savoir. Du point de vue de l’EDI, il est important que ces personnes se considèrent comme productrices de savoir, y compris lorsqu’elles font de la recherche.

Financé par le fonds interorganismes Nouvelles frontières en recherche, le second This link will take you to another Web site projet de recherche porte sur la gestion des urgences et des catastrophes. Ma collègue de la University of Calgary, Svetlana Yanushkevich, est la chercheuse principale dans le cadre de ce projet, qui est centré sur l’apprentissage automatique et vise la création d’algorithmes qui pourraient être utilisés dans le cycle de gestion des urgences. Étant donné que nous mettons l’accent sur l’EDI, nous veillons à ce que les réalités en matière de capacité de tous les membres de l’équipe soient prises en compte. Nous appliquons également les principes d’EDI lorsque nous formulons nos questions de recherche. Mon groupe examine la couverture médiatique qui est faite des groupes marginalisés (par exemple, dans les journaux) lors de situations d’urgence et de catastrophes et cherche des moyens d’enrichir le bagage des gens (y compris des chercheuses et des chercheurs) qui sont concernés par la gestion de ces situations. Les effets sur les groupes marginalisés sont particulièrement importants à souligner.

Enfin, un troisième projet qui vient de se terminer, mais qui n’était pas financé par les organismes subventionnaires fédéraux, a été réalisé avec l’Institut de recherche sur la science, la société et la politique publique : « This link will take you to another Web site Du concept à l’action : Bonnes pratiques pour l’EDI dans la recherche et la mobilisation des connaissances à l’interface de la science, de la société et de la politique ».

Pouvez-vous expliquer votre approche de travail avec les étudiantes et étudiants de premier cycle?

Depuis 2008, j’ai activement recruté plus de 50 personnes étudiant au premier cycle (beaucoup sont à leur première année lorsqu’elles commencent avec moi) pour faire de la recherche (This link will take you to another Web site lien vers mon blogue anglophone décrivant leurs réalisations). Je considère qu’à ce stade, elles ont besoin d’occasions de faire de la recherche et je les vois comme de futures influenceuses et de futurs influenceurs en matière d’EDI. En tant que groupe, nous veillons à cultiver un sentiment d’appartenance. Toutes les prémisses du fonctionnement du groupe tournent autour du « nous », et l’EDI fait partie de ce « nous ». Compte tenu de mes propres expériences, nous cherchons à leur ouvrir des possibilités, comme la présentation d’exposés lors de congrès, principalement en mode virtuel (430 exposés jusqu’à présent, surtout en mode virtuel ou à des endroits facilement accessibles en voiture). Les déplacements constituent un obstacle non seulement pour moi, mais aussi pour beaucoup d’autres personnes, comme celles qui étudient au premier cycle.

La plupart des membres de mon équipe de recherche ne souhaitent pas travailler en milieu universitaire : beaucoup travailleront dans la société avec ou pour des groupes marginalisés, par exemple les personnes en vivant avec un handicap, et pourraient donc faire avancer l’EDI dans des lieux de travail autres que les établissements postsecondaires. En leur offrant une formation en recherche, nous pouvons leur fournir les outils nécessaires pour devenir des « scientifiques communautaires » (c’est-à-dire des membres de la communauté ayant une formation universitaire) dans leurs lieux de travail et leurs communautés, leur permettant ainsi de contribuer à l’EDI en proposant des questions de recherche et en menant des travaux de recherche. Autre point à signaler : pour moi, c’est le groupe qui façonne le groupe; ce n’est pas moi. Les membres apprennent à considérer les choses à travers le prisme de l’EDI et voient à quel point cela est bénéfique pour le groupe. Le travail que je fais avec mes étudiantes et étudiants est probablement l’expérience la plus enrichissante que j’ai eue à ce jour. Ce sont elles et eux qui m’inspirent.

Selon vous, quels sont les principaux défis en matière d’EDI dans l’écosystème de recherche et que peut-on faire pour les relever?

Pour ne parler que des personnes vivant avec un handicap, je dirais que l’un des principaux problèmes liés à l’EDI, du moins au Canada, est la définition très large que l’on donne du terme « handicap ». Les obstacles en matière d’EDI varient selon les personnes vivant avec un handicap, même si elles sont souvent (et à tort) considérées comme un groupe homogène. Dans le cadre des mesures visant à accroitre l’EDI, le pourcentage cible pour cette population devrait être beaucoup plus élevé pour être représentatif : cette population est plus importante qu’on ne le réalise généralement si l’on tient compte de toutes les caractéristiques qui relèvent du « handicap ». Les obstacles à l’EDI diffèrent également selon les disciplines, et les réalités ne sont pas toutes les mêmes dans chaque province et territoire.

Il y a des problèmes liés au temps que l’on perd en attendant que l’accessibilité aux laboratoires ou aux pages Web (pour la présentation de projets de recherche) soit mise en œuvre (lorsqu’elle l’est!). Un autre problème lié à l’EDI est la croyance que seules les personnes vivant avec un handicap ont besoin de « mesures d’adaptation ». Nous ne considérons pas de manière systémique les problèmes rencontrés par ces personnes en dehors du milieu universitaire. Nous n’encourageons pas les étudiantes et étudiants du secondaire et du premier cycle universitaire qui vivent avec un handicap à devenir chercheuses et chercheurs et nous ne leur offrons que peu d’occasions et peu d’exposition à la recherche. Il nous faut plus de mentors.

Les étudiantes et étudiants ont l’This link will take you to another Web site Association nationale des étudiant(e)s handicapé(e)s au niveau postsecondaire (NEADS) et des groupes sur leurs campus; il faut créer l’équivalent pour les professeures et professeurs. À ma connaissance, il n’y a pas de réseau pour les membres du corps professoral ayant un handicap au Canada — ni dans la plupart des universités (en fait, dans aucune d’entre elles, je crois), ni à l’échelle nationale. Il existe des initiatives en matière d’EDI dans les lieux de travail non universitaires, et puis il y a le programme Dimensions. Mais il serait utile d’avoir un référentiel répertoriant les meilleures pratiques pour résoudre les problèmes en matière d’EDI auxquels sont confrontés le personnel enseignant et non enseignant et les étudiantes et étudiants vivant avec un handicap à l’intérieur et à l’extérieur de l’écosystème de recherche.

Nous savons qu’il existe des lacunes dans les études universitaires portant sur l’EDI. Il serait utile que naissent des initiatives qui pourraient combler ces lacunes et démarginaliser la communauté de recherche en EDI. J’espère que, dans une certaine mesure, mes travaux sur les politiques publiques et la recherche, ainsi que l’exposition à la recherche que mes étudiantes et étudiants tirent de notre travail, contribueront à rendre l’écosystème de recherche plus inclusif.

Cette entrevue a été révisée pour plus de concision et de clarté.

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