La découverte, une affaire de temps et de flexibilité

(Source de l’image : Professeur John Smol)

Le Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada (CRSNG) croit en l’importance d’appuyer les idées audacieuses et prometteuses. C’est pourquoi il donne toute la latitude nécessaire aux chercheuses et aux chercheurs pour sonder des pistes stimulantes et inattendues. La recherche axée sur la découverte vise à faire avancer la science à long terme tout en s’adaptant aux résultats émergents — c’est laisser la recherche guider l’innovation.

Nous avons eu la chance d’échanger avec le distingué professeur John Smol, du département de biologie de la Queen’s University, fondateur et codirecteur du Paleoecological Environmental Assessment and Research Laboratory (PEARL) et chercheur financé depuis longtemps par le CRSNG. Nous avons discuté avec lui du rôle central de la recherche axée sur la découverte dans sa carrière et de son utilité indéniable pour s’attaquer aux problèmes du monde moderne.

Professeur Smol, en quoi la recherche axée sur la découverte a-t-elle contribué à votre programme de recherche actuel en paléolimnologie?

Je dirais que l’ensemble de mon programme s’appuie sur la recherche axée sur la découverte. Mon cheminement de carrière l’illustre bien; j’ai fait ma thèse de doctorat en paléolimnologie, soit la science de l’histoire des lacs. Un choix des plus ésotériques, selon certains — mais cette discipline s’est avérée utile dans une multitude de dossiers bien concrets.

Au début de ma carrière de chercheur, le monde était confronté au problème environnemental croissant des pluies acides. L’une des grandes difficultés était l’absence de données à long terme. Un certain nombre d’entre nous ont vu là l’occasion d’utiliser nos techniques ésotériques pour recueillir ces données, en reconstituant l’historique d’acidification des lacs. Pendant quelques années, j’étais considéré comme un chercheur dont les travaux étaient axés sur la découverte, et en un clin d’œil, je suis devenu un spécialiste des questions appliquées.

J’aime me représenter cela comme une pyramide : les sciences appliquées sont au sommet, mais elles reposent sur la fondation de la science axée sur la découverte, qui est essentielle à notre vie quotidienne et à l’avancement de la science.

Dans les dernières décennies, nous avons observé une augmentation des catastrophes climatiques, comme les feux incontrôlés, les grosses tempêtes et les sècheresses. Comment la recherche axée sur la découverte peut-elle nous aider à comprendre et à atténuer ces phénomènes?

Je suis d’avis que les changements climatiques sont l’enjeu mondial le plus important à l’heure actuelle. Pour voir comment le climat évolue, particulièrement au Canada, on peut se tourner vers l’Arctique, qui est une région très sensible aux changements environnementaux et climatiques.

Au début de ma carrière, dans les années 1980, j’ai eu la chance d’aller faire de la recherche axée sur la découverte dans le Haut-Arctique. On ne savait presque rien alors sur les lacs et les étangs de la région ni sur la faune et les espèces d’algues qui les habitaient. La fondation était manquante, alors j’ai passé environ 10 ans à l’établir avec mes étudiantes et étudiants. Nous avons ensuite extrait des carottes de sédiments et publié nos premiers résultats dans la revue Science; déjà à cette époque, on observait des changements marquants qui témoignaient d’un réchauffement climatique. Tout le travail qui a mené à ces résultats n’aurait pas été possible sans la fondation, la base de notre pyramide, bâtie au fil de 11 années de recherche axée sur la découverte.

L’interdisciplinarité est-elle importante dans la recherche axée sur la découverte?

En tant qu’écologiste, je suis toujours à la recherche de relations entre les choses. C’est là que la recherche interdisciplinaire prend toute son importance; il est très difficile de comprendre un système sans l’aide de collègues et de travaux de recherche dans d’autres domaines.

Le réchauffement climatique et les phénomènes météorologiques épisodiques apportent leur lot d’enjeux environnementaux. Ils entraînent bien sûr d’énormes coûts, mais aussi des problèmes complexes qui requièrent des solutions complexes, pour lesquelles il faut des compétences spécialisées distinctes. Par exemple, pour gérer de grands feux incontrôlés, on a besoin de météorologues, de climatologues, de botanistes et d’expertes-forestières et experts-forestiers, qui ont tous une expertise et des outils spécifiques.

La collaboration interdisciplinaire nécessite des aptitudes interpersonnelles, de la flexibilité et une ouverture d’esprit. Ce n’est qu’avec tout cela qu’on arrive à de vraies grandes découvertes!

Certaines disciplines scientifiques, comme la paléolimnologie, peuvent sembler difficiles à appliquer concrètement, ou ésotériques, pour reprendre votre terme. Elles sont néanmoins essentielles à la compréhension de notre passé et à la projection de notre avenir. Comment expliqueriez-vous l’importance de la recherche axée sur la découverte dans la compréhension des changements environnementaux?

Dans mon domaine, on s’intéresse à l’évolution des lacs au fil du temps. Ce qui est généralement le plus gros défi en recherche écologique et environnementale, c’est que nous n’avons pas toutes les données nécessaires pour évaluer pleinement la situation. Nous ne savons pas quelles étaient les conditions avant les grandes incidences de l’activité humaine. Lorsqu’on va chez le médecin, par exemple, la première chose que cette personne fait, c’est de dresser un historique médical. Nous devrions essayer de faire la même chose avec les lacs : cerner ce qui est naturel ou préanthropique, comprendre les effets majeurs qu’a eus l’activité humaine et déterminer si les lacs ont changé en réponse à ces différents facteurs de stress. Une grande part de ce travail réside dans la recherche axée sur la découverte — la fondation nécessaire à toute interprétation.

Les bailleurs de fonds déterminent ce qui est possible, et je pense que nous pouvons faire mieux pour ce qui est de sensibiliser le public et les décideuses et décideurs à l’importance de ce type de recherche. Il s’agit d’un investissement qui ouvre de nouvelles avenues et contribue à la formation de personnel hautement qualifié — c’est un investissement qui se multiplie encore et encore au fil du temps. Les découvertes représentent un bon rendement sur investissement et nous permettent de résoudre toutes sortes de problèmes d’actualité. J’estime que nous avons la responsabilité collective de jouer un rôle central dans les programmes de recherche axée sur la découverte dans le monde.

Le CRSNG a eu le privilège de vous appuyer par l’entremise de divers programmes, le plus important étant peut-être son programme phare des subventions à la découverte. Pouvez-vous expliquer ce que ce financement soutenu vous a apporté?

Tout mon programme de recherche repose sur ce financement. Le Programme de subventions à la découverte, bien qu’il me semble sous-financé, fait encore l’envie de bien des pays — pour toutes sortes de raisons, mais surtout pour la flexibilité qu’il offre. Les titulaires doivent produire des résultats, réaliser des travaux de qualité dans un domaine précis, mais ils peuvent faire évoluer leur programme de recherche sur les cinq années de la subvention.

Quand je pense aux dix publications dont je suis le plus fier, je crois que je n’aurais pu prédire aucune des découvertes qui y sont présentées. Au cours des cinq années de ma subvention, j’ai glané des idées dans des revues, lors de conférences et en parlant avec mes collègues. Une subvention à la découverte, c’est aussi la flexibilité de changer de direction, une condition essentielle pour faire de vraies découvertes scientifiques. Il ne faut pas voir le financement de la recherche axée sur la découverte comme un coût, mais bien comme un investissement aux multiples facettes, de la compréhension du monde qui nous entoure à la formation de personnel hautement qualifié, en passant par des avancées dans les sciences appliquées.

Enfin, vous avez eu l’occasion d’encadrer des centaines de stagiaires et d’étudiantes et étudiants au fil des ans. Quels conseils donneriez-vous à une chercheuse ou un chercheur en début de carrière qui fait de la recherche axée sur la découverte?

J’encouragerais les étudiantes et étudiants et les chercheuses et chercheurs en début de carrière à choisir un domaine de recherche qui les passionne. Le fait d’aimer son travail est extrêmement motivant.

Je dirais aussi que, quand on fait de la recherche axée sur la découverte, il est important de garder l’esprit ouvert et d’avoir un programme ou un réseau de collègues aussi vaste que possible. Si vous êtes une bonne collaboratrice ou un bon collaborateur, vos collègues vous le rendront, et c’est souvent là que les grandes découvertes deviennent possibles.

Un autre point, qui est peut-être le principal défi de la science : poser les bonnes questions. On s’intéresse bien sûr aux réponses, mais il est important de prendre le temps de vraiment réfléchir aux grandes questions qu’il faut se poser, car c’est avec de grandes questions qu’on trouve de grandes réponses. Ces questions doivent aussi se fonder sur la science axée sur la découverte; comme je le dis à mes étudiantes et étudiants : « Il est bon de sortir des sentiers battus, mais pas de la forêt. »

En terminant, je dirais qu’il est important de se rappeler d’avoir du plaisir dans la recherche et l’enseignement. J’essaie de rire avec mes étudiantes et étudiants au moins une fois par jour!

Cette entrevue a été révisée pour plus de concision et de clarté.

John Smol

Le distingué professeur John Smol, du département de biologie de la Queen’s University, est fondateur et codirecteur du Paleoecological Environmental Assessment and Research Laboratory (PEARL). Au cours de sa carrière, il a reçu de nombreux prix et distinctions, dont la Médaille d’or Gerhard-Herzberg en sciences et en génie du Canada décernée par le CRSNG en 2004 et le Prix Brockhouse du Canada pour la recherche interdisciplinaire en sciences et en génie décerné par le CRSNG en 2013. Parmi ses multiples distinctions, M. Smol a été nommé Officier de l’Ordre du Canada en 2013. Plus récemment, il a reçu la médaille Rick Battarbee Lifetime Achievement de l’International Paleolimnology Association pour l’ensemble de sa carrière, la médaille Vega de la société suédoise d’anthropologie et de géographie (SSAG) et sa quatrième médaille de la Société royale du Canada, la médaille Sir John William Dawson. Pour en savoir plus sur le professeur Smol et ses travaux, vous pouvez consulter le site Web du PEARL.

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